samedi 28 août 2010

A Hard Day’s Night : les apparences sont trompeuses…

Alors que l’on a souvent, par le passé, attribué à tort la paternité de Sgt Pepper’s à John Lennon, l’intellectuel du groupe, en raison de la facture sophistiquée de cet album, on serait tenté de considérer Paul McCartney comme le principal maître d’œuvre de A Hard Day’s Night, à cause de la candeur lyrique de plusieurs de ses compositions.  Or, McCartney ne compte à son actif que trois morceaux dans le premier disque des Beatles à ne regrouper que des pièces originales.  On se souviendra que Please Please Me et With The Beatles, les deux premiers opus du groupe, comportaient chacun six reprises sur quatorze chansons.


Comme George Harisson n’a réussi à placer aucune de ses contributions dans cet album, force est de reconnaître à Lennon le mérite de s’y être taillé la part du lion, avec pas moins de dix titres dont il est l’auteur principal ou exclusif.  Ce premier tour de force devait l’imposer pour un temps comme leader officieux du groupe.  John ne représentait cependant pas les Beatles à lui seul.  Tout comme il secondera plus tard efficacement McCartney lors de la réalisation de Sgt Pepper’s, ce dernier aura déjà rempli cet office pour l’album qui doit son titre incongru à Ringo Starr. 

La domination de Lennon n’empêche cependant pas Paul de signer les deux plus retentissants succès commerciaux du disque avec And I Love Her, aux innombrables adaptations, que Lennon qualifiera ironiquement de «  premier Yesterday » de McCartney, et Can’t Buy Me Love, vendue à trois millions d’exemplaires, rien qu’en pré-commandes.  Cette chanson au tempo rapide reviendra d’ailleurs à deux reprises dans le film éponyme de l'album, lors d’épisodes particulièrement mouvementés. 

Le disque comporte par ailleurs deux parties, qui correspondent chacune aux deux faces du trente-trois tours de l’époque.  La première, plutôt lyrique et bon enfant, regroupe l’essentiel des huit chansons du film signé Richard Lester, qui réalisera également l’année suivante le très surréaliste Help !, tandis que la seconde face illustre davantage un Lennon rocker et incisif, que la très mélodique Things We Said Today, de McCartney, ne parvient toutefois pas à tempérer.  Seule I’ll Be Back, qui clôture l’album, évoque un John plus sentimental.

Ce dernier devait composer la chanson-titre, A Hard Day’s Night, à la dernière minute et en une nuit, à la suite de l’approbation par les producteurs du titre trouvé si spontanément par Ringo, au terme d’une « dure nuit de jour » de travail.  Voilà pourquoi cette chanson reste la seule de la bande originale que les Beatles n’interprètent pas devant la caméra, le tournage étant complété.  Parmi les aficionados du film, qui ne se souvient pas de la partie de carte du train, pendant laquelle l’harmonica et la voix à la fois candide et - déjà - insolente de Lennon concrétisent un moment privilégié ? 

Avec If I Fell, que plusieurs attribuent à tort à Paul, spécialiste de la chanson sentimentale, comme ils le feront plus tard tout aussi erronément avec Good Night, du White Album, les Beatles signent leurs plus belles harmonies vocales de cette période.  Devant l’innocence, au sens noble, de I’m Happy Just To Dance With You, John choisit d’en confier l’interprétation à George, comme il l’avait fait précédemment avec Do You Want To Know A Secret, pour l’album Please Please Me.  Dans un cas comme dans l’autre, la douce fragilité de George servait mieux le propos et l’atmosphère de la chanson.

Alors que I’ll Cry Instead, annonce la période country de l’album suivant, Beatles For Sale, Any Time At All reste la seule composition de Lennon où ce dernier affiche une sérénité et une empathie envers l’élue de son cœur

When I Get Home, rock déjà plus cinglant, met en scène un John qui donne son quatre pour cent à l’ex qu’il plante sans cérémonie pour sa nouvelle flamme, tandis que You Can’t Do That, au solo de guitare ravageur exceptionnellement signé Lennon, brosse le portrait – ou auto-portrait - d’un homme abrasif et dominateur.  Ce morceau préfigure de toute évidence Run For Your Life, au titre évocateur, qui clôture Rubber Soul.  Ces deux chansons sont considérées par certains commentateurs comme les ancêtres du célèbre Jealous Guy de Imagine, concrétisant l’aboutissement par l’auteur d’une prise de conscience sur des comportements oppresseurs.


Véritable sommet des tendres années des Beatles, A Hard Day’s Night indique par le fait même qu’ils ne pourront plus se surpasser dans ce registre.  Il faudra attendre Rubber Soul, album augurant leur maturité à venir de compositeurs et d’instrumentistes, avant que Revolver ne cristallise l’accomplissement ultime de leur discographie, à l’exception éventuelle d’Abbey Road, leur chant du cygne.

vendredi 27 août 2010

Beatles for sale : à vendre ou à laisser

À la suite du succès artistique et commercial phénoménal de A Hard Day’s Night, dont John Lennon peut légitimement s’enorgueillir (il est à l’origine de dix des treize pièces originales de l’album inspiré du long-métrage du même titre), les Beatles, en pleine période de tournées, sont poussés un peu précipitamment dans les studios par leurs obligations contractuelles.  Il faut vite profiter du boom du temps des fêtes.


Nul doute qu’il faille invoquer ce motif comme principale raison de leur activité artistique dans ce qui demeure l’album le moins inspiré de leur impressionnante discographie.  On a suffisamment raillé le choix du titre pour en rajouter.  Ce disque, avec son relief country western à prime abord peu compatible avec la musique du groupe, n’en recèle pas moins quelques perles qui côtoient malheureusement de banals cailloux.

No Reply, de Lennon, était initialement prévu comme quatorzième titre de A Hard Day’s Night, qui n’en compte que treize, un de moins que les standards de Parlophone, leur compagnie britannique.  Cette balade d’amour contrarié introduit l’improbable et entraînant I’m A Loser, l’une des premières incursions d’un John introspectif, influencé cette fois par Bob Dylan, qui allait trouver une première plénitude avec l’album Ruber Soul. 

La sauce commence à figer dès l’affligeant Baby’s In Black, qui précède la première des six reprises de l’album avant que la bucolique I’ll Follow The Sun, de Paul McCartney, ne vienne trancher sur la morosité grandissante du disque.

Pour ne pas être en reste avec le succès de I Feel Fine, composition de Lennon parue en simple, McCartney enchaîne avec Eight Days A Week, sympathique mais peu convaincante.  Quant à What You’re Doing, de Paul également, elle ne représente en rien un exploit au palmarès de l’un des auteurs-compositeurs les plus accomplis de son époque.

Mieux vaut ne pas s’étendre sur les dernières compositions du groupe, Every Little Thing et I Don’t Want To Spoil The Party, presque facultatives.

En l’absence de l’une de ses compositions pour le deuxième album consécutif, George Harrison parodie sa popularité naissante avec Everybody Wants To Be My Baby tandis que Ringo implore l’élue de son coeur d’épargner sa sensibilité meurtrie avec Honey Don’t, de Carl Perkins.  Deux reprises valables, mais sans plus.

McCartney réussit à déployer un enthousiasme contagieux avec Kansas City, avant que le groupe ne nous gratifie de la plus belle harmonie vocale de l’album avec la veloutée Words Of Love.  Ces deux morceaux représentent probablement les moments les plus achevés parmi les reprises.

Finalement, si Beatles For Sale n’a rien d’un album marquant des Fabs, il représente un intermède digne d’intérêt avant la remontée amorcée avec Help! et accomplie avec l’éclectique Rubber Soul, puis l’étincelant Revolver qui, aux yeux de l’auteur de ces lignes, demeure nettement plus riche que le surfait Sgt Pepper’s.

Rétrolivier paru le 18 novembre 2008 dans Amazon.fr.

Une thèse et demie sur Jack l’Éventreur…

Amateurs de casse-tête et d’énigmes du passé, callez-vous bien dans votre fauteuil préféré et lisez ce qui suit.  Voici exposées, devant vos regards curieux et avides de sensations fortes, deux perspectives, la première plus étoffée que la seconde, sur le meurtrier le plus célèbre de l’histoire criminelle de tous les temps : Jack l’Éventreur.  Natures sensibles, prière de vous abstenir…

Une thèse : Jack l’Éventreur démasqué ?...

En 1988, une mini-série signée David Wickes, affichant des prétentions documentaires irréfutables, revendiquait la solution de l’une des énigmes criminelles les plus déroutantes de l’histoire.  L’inspecteur Frederik Abberline, incarné par Michael Caine, avait démasqué Jack l’Éventreur, le tueur en série qui avait sauvagement assassiné cinq prostituées pendant l’automne 1888 à Whitechapel, un quartier misérable de Londres.  Le coupable était nul autre que Sir William Gull, médecin de la reine Victoria, assisté d’un cocher qui attirait les victimes dans une berline royale où le monstre, en toute quiétude, les égorgeait avant de les éventrer.

Hypothèse audacieuse, spectaculaire, invraisemblable.  Parmi l’amoncellement de témoignages sur cette sinistre affaire, aucun signalement de berline royale, pour le moins voyante, n’a été consigné.  Gull, à l’époque, était un vieillard paralysé du côté gauche alors que l’on prétendait le tueur gaucher.  Annie Chapman, deuxième victime, avait par ailleurs été découverte dans une cour arrière et les éclaboussures de sang trouvées sur place correspondaient aux lacérations pratiquées par son assaillant.  Oubliez la berline.  Trois semaines plus tard, le meurtrier avait été interrompu par un passant lors du meurtre de la troisième victime, Elizabeth Stride, et n’avait pu l’éventrer.  Dans une berline, pas d’empêchement possible.  Enfin, la dernière proie, Mary Jane Kelly, victime du pire carnage, avait été agressée chez elle.

Parmi les plus récentes théories sur la tuerie des cinq victimes alléguées, passons rapidement sur le film From Hell, avec Johnny Depp, qui reprend la thèse farfelue d’un complot royal, cent fois ridiculisée.  Par ailleurs, un très contesté journal de Jack l’Éventreur, découvert dans des circonstances nébuleuses en 1991, désigne un respectable marchand de coton de Liverpool.

À la suite de ce fatras de solutions à gogo, le dernier essai en date, intitulé Jack l’Éventreur démasqué, signé Sophie Herfort et paru aux éditions Points, apporte un éclairage inédit et troublant.  Voilà une thèse qui, à défaut de faire incontestablement la lumière sur ce mystère vieux de 120 ans, présente une théorie en apparence vraisemblable, appuyée par une documentation considérable et vérifiable. 

Trois jours avant le premier meurtre, un nommé Melville Macnaughten, « pistonné » par un ami influent en vue d’un poste de prestige à Scotland Yard, se voit éconduit grossièrement par le préfet de police, Sir Charles Warren.  Ancien chasseur aux Indes et doté de connaissances en taxidermie, l’homme évincé détournera ses compétences vers Mary Ann Nichols, sa première victime.  Son but, selon l’auteure : entreprendre une série de meurtres crapuleux insolubles qui forceront la démission de l’homme qui l’a humilié.  De fait, les meurtres cesseront après le départ de Warren, demandé par la reine.

Après avoir vaincu son ennemi, Macnaughten, qui entreprendra une brillante carrière de 22 ans au Yard, avouera dans sa correspondance connaître l’identité du tueur, mais avoir brûlé toutes les preuves.  Pourquoi avoir renoncé au prestige de solutionner l’énigme brûlante du XIXe siècle ?  Herfort cite des hauts fonctionnaires du Yard qui ont admis à l’époque avoir observé sur l’affaire un devoir de réserve afin de préserver leur institution, l’un d’eux allant jusqu’à parler d’une « patate chaude ».

Précisons à ce propos que, selon Stéphane Bourgouin, de loin le spécialiste francophone le plus crédible sur Jack l’Éventreur, les réserves de ces hauts dirigeants relevaient du fait que leur principal suspect, un Juif polonais nommé Aaron Kosminski, avait été identifié par un compatriote qui s’était finalement désisté.

La « patate chaude » et le désir de préserver leur institution auraient en fait résulté du dilemme de présenter un coupable, mais de ne détenir ni preuve, ni témoignage déterminant.  En plus de valoir à Scotland Yard des accusations d’antisémitisme, une telle révélation, incriminant un membre de la communauté juive, aurait suscité un branle-bas de combat xénophobe dans l’East End de Londres.

Cette hypothèse, moins spectaculaire, était connue de Sophie Herfort, puisqu’elle cite le livre dont elle est tirée.  L’auteure était-elle vraiment à la recherche de la vérité sur l’affaire des meurtres de Whitechapel, ou a-t-elle souhaité se démarquer par une solution plus spectaculaire ?  Les paris restent ouverts…  

 … Et demie : à classer…

… dans le même tiroir que les théories fumeuses de Stephen Knight, impliquant le complot royal aux relents de franc-maçonnerie, ou de Shirley Harrison, à propos du présumé journal du tueur de Whitechapel.  Patricia Cornwell propose ici une thèse qui relève davantage de la spéculation sensationnaliste que de la preuve formelle.  Son analyse dite scientifique d’ADN sur des documents vieux de 120 ans, manipulés par tant d’analystes, demeure par trop aléatoire.  Précisons, pour la forme, que c’est Walter Sickert, artiste-peintre, qui endosse cette fois la redingote et le haut-de-forme rituels de Gentleman Jack.

Le livre de cette auteure de romans policiers reste cependant un divertissement passable, mais ne doit pas être pris davantage au sérieux que la mini-série de David Wickes ou que le film From Hell, qui reprend la thèse du complot royal. 

Saura-t-on jamais la vérité sur le plus célèbre tueur en série de l’histoire ?  Stéphane Bourgoin ne désigne quant à lui aucun coupable.  La thèse de Sophie Herfort demeure à ce jour la plus ingénieuse, à défaut d’être tout à fait crédible…

jeudi 26 août 2010

Mind Games : un album moyen par un type génial

Paru en 1973 à la suite de la débâcle entraînée par l’album Some Time In New York City, Mind Games s’avère une tentative à demi réussie de renouer avec le lyrisme d’Imagine, qui avait su concilier succès critique et commercial.  En effet, John Lennon, dont la conjointe était déjà tenue responsable de la rupture des Beatles, n’avait pas fait l’unanimité avec Some Time, écrit et chanté conjointement avec Yoko, et consacré en presque totalité à des causes sociales en vogue en 1972.  Devant la pluie des critiques négatives et des ventes décevantes, il était capital pour Lennon de redresser la barre.  Sa carrière solo était pourtant si bien partie, avec les deux chefs-d’œuvre Plastic Ono Band, paru en 1970, et Imagine, révélé l’année suivante.

En plus de décevoir son public fervent, le Beatle brillant, maintenant résident new-yorkais, s’était rendu suspect aux yeux de l’administration Nixon, qui le faisait surveiller par le FBI, en plus de tenter des pieds et des mains pour l’expulser des États-Unis.  Est-ce que ces tracasseries, liées à des désaccords naissants dans son couple et au mal du pays, ont déteint sur la qualité de Mind Games ?  Seul l’intéressé aurait pu répondre.  De son aveu, son opus de 1973 se voulait un album de transition.  En fait, dès la première écoute, l’auditeur a l’impression de se trouver devant une œuvre inachevée, tant elle a été enregistrée à toute vitesse, à une époque où plusieurs artistes de premier plan passaient facilement cinq mois en studio.

Devant le côté brouillon de John, la présence de Paul McCartney devenait salutaire, à l’époque des Fabs, comme l’évoque d’ailleurs Red Rose Speedway, paru la même année que Mind Games.  Si cet album de Paul manque un tantinet de substance, il est cependant réalisé de main de maître.  De son côté, les textes de Mind Games n’ont pas la tenue de Plastic Ono Band, mais demeurent le plus souvent crédibles et la musique qui les soutient, d’une écoute agréable, à défaut d’être géniale.  Bref, si les deux compères avaient travaillé sur le même album…  

Toutefois, la finition plutôt succincte de Mind Games n’est pas toujours un inconvénient, loin de là.  Plusieurs morceaux bénéficient de ce dépouillement : Tight A$, Intuition, Bring On The Lucie ou Meat City n’auraient pas nécessairement été meilleurs avec un overdubbing plus fouillé.  La réalisation sommaire de l’album devait cependant desservir la réputation d’un créateur associé à l’une des musiques les plus sophistiquées des années soixante. 

Comme souvent avec Lennon, son œuvre s’apprécie davantage avec le temps, une fois dégagée de l’époque qui lui a donné naissance.  La musique de McCartney a parfois l’effet inverse.  S’il fallait comptabiliser combien de fois jouent à la radio les chansons Imagine et Mind Games en comparaison de Band On The Run ou My Love, pas sûr que les pièces de Macca l’emporteraient.  Elles étaient pourtant nettement plus populaires à leur sortie.

Au bout du compte, Mind Games reste un très bon petit album.  Toutefois, un bon petit album de Lennon, c’est un peu comme un bon petit film avec Brando : la stature plus grande que nature de l’artiste nous fait inévitablement penser qu’il aurait pu faire mieux.  Pourquoi bouder son plaisir ?  Un album moyen par un type génial, c’est parfois préférable à un album génial par un type moyen…

Rétrolivier paru le 23 novembre 2008 dans Amazon.fr.

 À lire aussi : A Hard Day's Night : les apparences sont trompeuses...
http://olivierkaestle.blogspot.com/2010/08/hard-days-night-les-apparences-sont.html

Excité et dans la lune

C’est souvent à travers nos enfants que nous apprenons à nous comprendre.  Comme la pomme ne tombe jamais loin de l’arbre, il arrive que notre progéniture, génétiquement programmée par l’hérédité, reproduise certains de nos traits de caractère et les comportements qui en résultent.  On voudrait ne pas s’en rendre compte qu’il survient toujours un conjoint, un ami ou pire, un inconnu, pour nous rappeler ces ressemblances.  Si ces caractéristiques persistent, les mots pour les définir et les réactions qu’elles suscitent varient au gré des époques et des tendances.

Ainsi quand, au bout de deux ans de tâtonnements et de plans d’intervention mis en oeuvre à son école, mon garçon fut diagnostiqué à sept ans hyperactif avec déficit d’attention, nos inquiétudes, à sa mère et moi, connurent une accalmie.  Enfin, nous savions pourquoi il ne tenait pas en place et se montrait récalcitrant à toute forme d’autorité, même la plus bienveillante.  Comme, enfant, la mère de Jérémie était sage comme une image, je n’avais d’autre alternative que de jeter sur mon passé un regard sans complaisance. 

Hormis certaines anecdotes ressassées lors de réunions familiales, sans doute exagérées, mes souvenirs d’école primaire dirigée par des religieuses trahissaient les antécédents héréditaires de mon garçon.  Impossible de le renier.  Au pensionnat, où le comportement des enfants était évalué selon les couleurs, verte pour bon, jaune pour passable et rouge pour répréhensible, mon parcours semestriel, affiché comme les autres au dortoir, ressemblait au fil des semaines à un long trait de ketchup entrecoupé d’un peu de moutarde et d’encore moins de relish.  Lors des répétitions en vue d’un spectacle du temps des fêtes destiné aux parents, j’entendis la voix pointue d’une sœur déclarer à une collègue que le rôle du démon m’était prédestiné…

J’en venais presque à croire qu’il y avait du vrai, dans cette boutade douteuse, tant il m’était par moments difficile de garder contenance dans cet environnement austère.  Pour tout arranger, je désobéissais parfois non pas délibérément, mais par distraction, simplement parce que je pensais à autre chose au moment où les consignes étaient données.  Mon impulsivité me valait le qualificatif d’ « excité » et mon étourderie, l’expression « dans la lune ».  Aujourd’hui, on emploierait naturellement les termes « hyperactif » et « déficit d’attention »…

À l’époque, il n’y avait pas de Ritalin pour les enfants comme moi, encore moins de psychologue ou d’orthopédagogue à l’école.  La grande noirceur ne s’était pas éteinte avec l’arrivée au pouvoir en 1960 de Jean Lesage et de son équipe du tonnerre.  Pour moi comme pour d’autres, il n’y avait que les sœurs, toutes de noir vêtues, les activités obligatoires, les pénitences et les menaces de l’enfer.  Que de frissons n’ai-je pas eu, à m’imaginer, méchant garnement, embroché pour l’éternité comme un méchoui, arrosé d’huile bouillante par un diable rouge, ricanant devant mon irrémédiable perdition.

À notre époque où l’on questionne, non sans raison, le recours au Ritalin, plus fréquent au Québec qu’ailleurs au Canada, il importe de se rappeler d’où l’on vient et de mesurer les progrès accomplis.  Plus d’une fois, j’ai été émerveillé et reconnaissant envers le personnel enseignant et les intervenants présents lors des plans d’interventions qui, au fil des ans, ont aidé mon garçon à se prendre en main.  La médication n’est qu’un élément de solution parmi d’autres.  Le soutien de personnes qualifiées peut faire la différence, chez un jeune, entre se réaliser en travaillant lucidement sur soi-même et finir enfin par s’en sortir, tant bien que mal.

Rétrolivier paru dans Le Soleil du 11 juin 2009

mercredi 25 août 2010

Une mode unique à courte vue

Jusqu’à récemment, magasiner des effets personnels n’avait jamais été un problème pour moi.  Bien sûr, je suis animé d’une volonté bien masculine de trouver tout de suite et de sortir au plus tôt  d’un commerce.  À peu près tout ce que j’essaie comme vêtements ou chaussures me va presque du premier coup et changer de lunettes aux cinq ans est aussi simple que de poster une lettre.  Oui, j’ai une chance insolente, et je le sais.

C’est sans doute pour ça que le destin devait me présenter un état de compte de sa façon. Un indice de probabilités aussi favorable ne pouvait pas durer. C’est le 15 septembre dernier que ma quiétude quotidienne bascula.  Cette journée-là, j’allais prendre possession de mes nouvelles lunettes chez mon optométriste.  Cette fois, j’éprouvais quelque vague appréhension.  Rien de défini, à part cette mode unilatérale de montures à courte vue, qui totalisent à peine les deux tiers de la hauteur des modèles précédents.  Je les jugeais un peu courtes, mais essayez de trouver autre chose sur le marché, vous m’en direz des nouvelles.

Un écriteau m’avisait que mes verres haute définition nécessiteraient un certain temps d’adaptation.  Aussi ne fus-je pas surpris d’éprouver certains tiraillements, au début.  Au bout d’une semaine, je demandais à la technicienne d’ajuster ma monture, devant l’inconfort persistant qui allait jusqu’aux douleurs musculaires sous les yeux.  Sitôt ajustée, sitôt fonctionnelle… quelque temps.  Puis le problème revenait.  Nouvel ajustement, nouveau confort retrouvé, nouvelles douleurs, après un jour ou deux.

Au bout de quelques semaines de ce cycle, ma patience commençait à s’effriter.  Aussi demandais-je à la technicienne de vérifier la prescription de mes verres : tout était normal. Pourtant, le problème perdurait. Je m’adressais ensuite à mon optométriste, confiant qu’il règlerait le cas.  Perplexe, il me rappela après examen des verres, et me confirma que ma prescription était bien conforme.  Il me convoqua à son bureau et m’examina en personne, sans rien déceler d’anormal.  Tout au plus avait-il modifié légèrement l’inclinaison des verres.

J’avais reçu ces fichues lunettes depuis quatre mois déjà et m’arrachais toujours les yeux à voir dedans, au point que mon œil gauche était devenu injecté de sang.  Je décidais donc de remettre mon ancienne mais confortable monture et de chercher une deuxième opinion auprès d’un autre optométriste.  Après examen, celui-ci me confirma que la prescription était en tout points conforme.  Peut-être faisais-je partie des 10 % de gens qui ne supportaient pas la nouvelle technologie haute définition.  J’étais bien avancé !

Arrivé chez moi, je remis mes nouvelles lunettes.  Avec le recul, l’évidence me sauta aux yeux.  Elles étaient vraiment trop courtes !  Mon appréhension initiale était fondée.  J’en parlais à mes deux optométristes, qui trouvèrent l’hypothèse plausible.  Il fallut un œil de limier, là où je faisais affaire, pour trouver la seule monture ayant la même hauteur que mes anciennes lunettes.  Mur à mur, ne trônaient que ces ridicules petits lorgnons !  Deux semaines plus tard, je prenais possession de mes nouvelles lunettes.  Le problème était réglé.  Reste maintenant celui de la  nouvelle monture, lourde et rigide…  Un conseil aux modistes à l’origine de ces modèles dont l’esthétique douteuse prime sur la vision :  quand vous lancerez une nouvelle mode unique saugrenue, ayez plutôt le tact de vous casser une jambe.  Vous serez alors vos seules victimes.

Rétrolivier paru dans Le Soleil du 21 mars 2009.

mardi 24 août 2010

Please Please Me : On en fait des choses en une journée !

Plusieurs finaliseront leur ménage du printemps, d’autres concluront une affaire importante, certains enfin effectueront une excursion familiale en dehors de la ville.  Les Beatles, en à peine trois sessions totalisant 9 heures 45 minutes, ont quant à eux réalisé leur premier album, Please Please Me, le 11 février 1963, aux studios EMI d’Abbey Road.  George Martin, leur producteur, a voulu recréer sur disque le matériel que le groupe joue alors sur scène.  On est encore loin des cinq mois de gestation intensive de Sgt Pepper’s, en 1967.

Le premier disque nécessite 14 chansons, selon les standards de la maison Parlophone.  Quatre titres ont déjà été enregistrés, dont Love Me Do, classé 17e dans les charts britanniques, et Please Please Me, selon plusieurs, leur premier numéro un.  Si la première composition porte la marque de McCartney, la seconde est signée John Lennon.  Paul devait toutefois préciser, dans une entrevue post Beatles, que John envisageait sa chanson comme une complainte à la Roy Orbison.  Il en avait alors fredonné les premières mesures sur le ton langoureux du célèbre chanteur américain.  Le bassiste gaucher devait toutefois en accélérer le tempo, comme il le fera également plus tard avec Help ! et Revolution, deux autres classiques de son complice.

Les faces B respectives des deux premiers tubes des Beatles, soit PS I Love You, toujours de McCartney, et Ask Me Why, de Lennon, représentent les premières incursions sur disque des principaux compositeurs du groupe dans la ballade sentimentale bon teint.  Du bon boulot, agréable et efficace, à défaut d’être transcendant.

Please Please Me est le premier de trois albums constitués chacun de huit compositions originales et de six reprises, les deux autres étant With The Beatles et Beatles For Sale.  Le disque débute en chapeaux de roues avec l’électrisant I Saw Her Standing There, de McCartney, d’après une idée de Lennon.  Un jour, a déjà révélé Paul, John est entré en studio en fredonnant « Well, she was just seventeen, was not a beauty queen…»  J’ai trouvé le début intéressant, mais « was not a beauty queen » devait être changé, ajouta-t-il, non sans un sourire.

Dans sa dernière entrevue, Lennon affirmait de son côté que la chanson suivante, Misery, pourtant si lennonienne par sa thématique d’écorché vif, avait été écrite conjointement avec Paul.  Il entame ensuite la première des six reprises de l’album avec Anna (Go To Him), d’Arthur Alexander, l’une de ses idoles de jeunesse.  Lyrique et envoûtant.  Moins accrocheur, mais néanmoins sympathique, Chains, du prolifique tandem formé par Carole King et Gerry Goffin, offre à George Harisson une première occasion de faire valoir ses talents de soliste. 

C’est cependant sa prestation de Do You Want To Know A Secret, de John Lennon, qui deviendra l’un des premiers titres fétiches associés au Beatle tranquille, le leader initial du groupe se voyant mal interpréter cette chanson inspirée de son enfance et de Walt Disney.  Pour des motifs analogues, John confiera plus tard à George I’m Happy Just To Dance With You, sur l’album A Hard Day’s Night.  La chanson aura sans doute été jugée trop platonique pour l’image de rocker provoquant que Lennon veut alors projeter.  Les allures de bon garçon de George restent nettement plus compatibles.

Un autre bon garçon, Ringo Starr, fait également ses débuts de soliste avec Boys, un bon petit rock endiablé, rempli de Bop Bop She Wop entonnés par Lennon et McCartney, tandis qu’Harisson donne un avant-goût des solos de guitare qui deviendront son image de marque.

Paul manifeste son penchant pour la romance un tantinet sirupeuse avec A Taste Of Honey, de Scott et Marlowe (Il a toujours voulu enregistrer Besame Mucho, mais a dû rencontrer une nette opposition.) tandis que John donne la pleine mesure de son talent d’interprète avec la complainte frémissante et sensuelle Baby, It’s You, de Burt Bacharach. 

There’s A Place, sans doute l’une des meilleures compositions originales de l’album, annonce déjà le Lennon introspectif et articulé qui atteindra une première maturité avec l’album Rubber Soul, deux ans plus tard.

Ce dernier souffrant d’un bon rhume le jour de l’enregistrement, George Martin a sagement attendu la fin de la journée pour qu’il conclue l’album avec ce qui va devenir la reprise la plus célèbre du groupe : Twist and Shout, de Bert Russell.  Heureusement pour John, le titre est bouclé en une prise.


Si Please Please Me ne représente pas l’une réussites les plus achevées des Beatles, il révèle déjà ce dont ils sont capables loin de l’hystérie collective sans cesse croissante qui accompagne leurs prestations sur scène.  La spontanéité et la fraîcheur de leurs interprétations compensent ici très opportunément la complexité grandissante de leurs œuvres à venir.

Rétrolivier paru le 3 décembre 2008 dans Amazon.fr.

Une première depuis 2009 : Blogger retire l'un de mes billets.

Pour des raisons indéfinissables, Blogger a retiré mon article intitulé À quand un prix Diane Lamarre ?   C'est la première fois depuis ...